24
Acte de foi

 

 

Drizzt et Belwar se souvenaient parfaitement de ce que signifiait la lueur verdâtre qui apparaissait au bout du couloir. Ils accélérèrent pour rejoindre Caqueteur qui continuait à s’en approcher. Le porte-crocs ouvrait systématiquement la marche à présent, car l’elfe et le svirfnebelin considéraient qu’il était trop dangereux de le laisser derrière eux.

Caqueteur se retourna, brandit une serre menaçante et se mit à siffler ; il avait été surpris par l’approche de ses compagnons.

— Pech, murmura Belwar, cherchant à atteindre son ancienne personnalité.

La troupe allait vers l’est en direction de Menzoberranzan depuis que l’elfe avait convaincu le maître-terrassier de sa détermination à aider Caqueteur. N’ayant pas le choix, le svirfnebelin s’était finalement rallié au plan de son ami. Ils se dépêchaient car ils pensaient ne plus avoir beaucoup de temps. Depuis l’escarmouche avec les duergars, la transformation de Caqueteur s’était considérablement accélérée ; le porte-crocs ne parlait presque plus et avait menacé ses amis à plusieurs reprises.

— Pech, répéta le gnome alors que lui et Drizzt s’approchaient avec précaution.

Le porte-crocs s’arrêta, perplexe.

— Pech ! dit pour la troisième fois le svirfnebelin en tapant sa main-marteau contre la paroi.

Le bruit apaisa les tourments intérieurs de Caqueteur qui laissa retomber son bras.

Drizzt et Belwar regardèrent par-dessus l’épaule de leur compagnon ; ils savaient ce qui les attendait mais ils ne pouvaient faire autrement.

— Des corbies vivent dans la prochaine grotte, dit Drizzt en détachant chaque mot pour être sûr que Caqueteur comprenne. Nous devons la traverser rapidement, nous n’avons pas de temps à perdre avec un combat. Fais attention où tu mets les pieds, les passages sont étroits et traîtres.

— C… C… Caqu…, bégaya la créature.

— Caqueteur, l’aida Belwar.

— M… M…

Il arrêta là ses efforts et pointa une de ses serres vers la lueur.

— Tu veux prendre la tête ? dit Drizzt. (Il ne supportait pas de voir son ami dans cet état.) On te suit.

Belwar n’était pas certain que cette décision soit sage.

— Nous avons déjà combattu les hommes-oiseaux par le passé et nous connaissons leurs ruses. Pas Caqueteur.

— La silhouette massive d’un porte-crocs devrait les tenir en respect. Sa seule présence devrait nous éviter une confrontation.

— Pas contre les corbies, elfe noir, dit le maître-terrassier. Ils s’attaquent à n’importe qui. Sans se soucier de leur propre vie. Même ta panthère ne leur a pas fait peur.

— Tu as raison, mais même s’ils attaquent, avec quelles armes pourraient-ils percer la carapace d’un porte-crocs ? Quel moyen de défense peuvent-ils opposer à ses serres puissantes ? Notre ami n’en fera qu’une bouchée.

— Tu oublies les lanceurs de pierres postés en hauteur, lui rappela le gnome. Ils auront tôt fait de se jeter sur lui pour le faire tomber.

Caqueteur se détourna de la conversation et regarda les pierres de la paroi dans l’espoir vain de retrouver une part de ce qu’il avait été. Il ressentait une envie pressante de marteler la roche, mais celle-ci n’égalait pas son désir constant de planter ses serres dans le visage du drow ou du svirfnebelin.

— Je m’occuperai des corbies postés en hauteur, expliqua Drizzt. Tu n’auras qu’à suivre Caqueteur, en restant à dix pas derrière lui.

— Et la panthère ? chuchota le gnome à l’elfe alors qu’ils atteignaient la dernière courbe du tunnel.

Le visage du drow se ferma. Se souvenant de la dernière rencontre entre Guenhwyvar et les corbies, Belwar n’insista pas.

L’elfe donna un petit coup sur l’épaule du svirfnebelin ; c’était sa façon de lui souhaiter bonne chance. Il dépassa le porte-crocs et fut le premier à entrer dans l’immense grotte silencieuse. Il fit quelques gestes simples pour activer son sort de lévitation et s’éleva silencieusement dans les airs. Caqueteur, fasciné par le lac d’acide qui s’étendait à ses pieds, ne prêta guère attention à Drizzt. Il restait parfaitement immobile, maintenant ses sens en éveil afin de localiser la moindre présence hostile.

— Avance, lui murmura Belwar dans son dos. La moindre seconde perdue pourrait causer notre perte !

Caqueteur fut hésitant au début, mais quand il vit que la passerelle qu’il avait empruntée supportait son poids, il se mit à aller plus vite. Il avait choisi le chemin qui lui avait paru le plus direct, même si, sur la fin, celui-ci serpentait quelque peu avant d’atteindre la sortie, de l’autre côté.

— Vois-tu quelque chose, elfe noir ? demanda le svirfnebelin d’une voix qui trahissait son anxiété croissante.

Caqueteur avait franchi le milieu de la passerelle sans encombre. Aucun corbie ne s’était montré et il n’y avait aucun bruit hormis celui des pas lourds du porte-crocs ou du frottement des bottes du gnome.

Drizzt flottait au-dessus de la passerelle naturelle, loin derrière ses compagnons.

— Rien à signaler, répondit-il.

L’absence des corbies lui paraissait suspecte à lui aussi. Il régnait un silence total dans cet endroit et cela le déroutait. Il se dirigea vers le centre de la grotte, puis lévita de nouveau vers le plafond pour essayer d’avoir une meilleure vue d’ensemble.

— Que vois-tu ? lui redemanda le gnome quelques instants plus tard.

Drizzt le regarda et haussa les épaules.

— Toujours rien.

— Magga cammara, grogna Belwar.

Il en venait presque à espérer une attaque de corbies.

Caqueteur n’était plus très loin de la sortie ; Belwar, tout à sa conversation avec l’elfe, l’avait laissé prendre de l’avance. Quand il regarda de nouveau le bout du chemin, le porte-crocs disparaissait dans le tunnel.

— Vous voyez quelque chose ? demanda le svirfnebelin à ses deux compagnons.

L’elfe fit un signe de tête négatif et continua son ascension. Il tournait lentement sur lui-même, inspectant toutes les anfractuosités de la paroi, ne pouvant croire qu’aucun corbie s’y tienne en embuscade.

Belwar regarda de nouveau vers la sortie.

— Nous avons dû les chasser, marmonna-t-il, sans y croire un seul instant.

Quand ils avaient fui cette grotte deux semaines plus tôt, ils avaient laissé plusieurs dizaines d’hommes-oiseaux derrière eux. Ce n’est certainement pas la perte de quelques-uns des leurs qui avait fait fuir le reste du clan.

Mais pour une raison inconnue, aucun corbie ne les avait encore attaqués.

Le gnome se hâta vers la sortie ; il ne fallait pas trop tenter la chance. Il allait appeler Caqueteur pour savoir si tout allait bien quand un cri perçant et empli de terreur retentit, suivi d’un sinistre craquement.

L’esprit-fantôme de Zaknafein Do’Urden sortit du tunnel.

— Elfe noir ! appela le maître-terrassier.

Drizzt, qui avait déjà repéré l’esprit-fantôme, descendait aussi rapidement qu’il le pouvait vers la passerelle, au milieu de la grotte.

— Caqueteur ! appela le svirfnebelin.

Aucune réponse ne lui parvint du tunnel obscur. L’esprit-fantôme se rapprochait.

— Espèce d’assassin ! hurla-t-il à son adversaire. (Il se campa sur ses jambes et frappa ses mains de mithral l’une contre l’autre.) Viens recevoir ce que tu mérites !

Belwar entonna son chant magique, mais Drizzt l’interrompit.

— Non ! Zaknafein est ici pour moi, pas pour toi. Écarte-toi de son chemin !

— Était-il là pour Caqueteur ? Non ! C’est un meurtrier et je vais lui régler son compte !

— Tu n’y arriveras pas, lâcha l’elfe. (Il savait que Zaknafein ne ferait qu’une bouchée du gnome des profondeurs.) Je te demande de me croire, il est beaucoup plus fort que toi.

Belwar frappa de nouveau ses mains l’une contre l’autre, mais de dépit cette fois, car il savait que son ami avait raison. Il n’avait vu Zaknafein à l’œuvre qu’une seule fois, dans la caverne des illithids, mais il avait eu le souffle coupé par la virtuosité de ses mouvements. Il recula de quelques pas et s’engagea sur une passerelle voisine pour essayer de rejoindre Caqueteur par un autre chemin.

Drizzt se tenant devant lui, l’esprit-fantôme ne se soucia plus du svirfnebelin. Il fonça directement sur sa proie ; il avait une tâche à accomplir.

Belwar caressa l’idée de poursuivre cet étrange drow, de le prendre à revers afin d’aider Drizzt, mais un autre cri retentit dans le tunnel, un cri d’agonie que le maître-terrassier ne pouvait ignorer. Quand il revint sur le chemin principal, il s’arrêta, regardant d’un côté puis de l’autre, déchiré entre deux amitiés.

— Va rejoindre Caqueteur ! Je m’occupe de Zaknafein, mon père ! lui cria Drizzt.

Il détecta une légère hésitation chez l’esprit-fantôme lorsqu’il prononça ces mots, une hésitation qui lui fit comprendre quelque chose.

— Ton père ? Magga cammara, elfe noir ! Souviens-toi de la caverne des illithids…

— Tout se passera bien.

Belwar n’y croyait pas un seul instant mais il réalisa à contrecœur que le combat qui allait avoir lieu surpassait de loin ses capacités. Il ne serait d’aucune utilité contre ce puissant guerrier drow. Il pourrait même se révéler un handicap pour Drizzt ; celui-ci aurait déjà fort à faire sans avoir en plus à s’inquiéter de la sécurité de son ami.

Le gnome se résigna donc et se précipita dans le tunnel d’où lui parvenaient les gémissements déchirants de Caqueteur.

 

 

Les yeux de Malice s’écarquillèrent et elle poussa un cri si bestial que ses filles, rassemblées dans l’antichambre, comprirent immédiatement que l’esprit-fantôme avait retrouvé Drizzt. Briza regarda ses sœurs cadettes et les congédia. Maya obéit sur-le-champ mais Vierna hésita.

— Sors ! grogna Briza, une main sur son fouet à têtes de serpent. Maintenant !

Vierna chercha du regard un soutien auprès de sa mère, mais l’esprit de celle-ci était concentré sur des événements qui se déroulaient à des kilomètres de là. L’heure du triomphe avait sonné pour le Zin-carla et pour la Matrone Malice Do’Urden. Celle-ci ne se laisserait pas déconcentrer par les chamailleries de sa progéniture.

Briza se retrouva seule avec sa mère ; elle se tenait derrière le trône. Elle observait Malice aussi intensément que la Mère Matrone observait Zaknafein.

 

 

Dès qu’il entra dans le tunnel, Belwar sut que Caqueteur était mort, ou en tout cas qu’il ne lui restait plus très longtemps à vivre. Le corps du porte-crocs gisait sur le sol, du sang coulant de l’unique blessure qu’il avait au cou. Le gnome voulut faire demi-tour, mais il se devait d’accompagner son ami dans ses derniers instants. Il tomba sur un genou et se força à regarder Caqueteur qui était pris de violentes convulsions.

La mort avait annulé le sort de polymorphie et, petit à petit, le géant reprenait son apparence initiale. Ses immenses bras terminés par des serres tressautèrent, se tordirent et se transformèrent en bras longs et fins à la peau dorée – des bras de pech. Des cheveux apparaissaient à la place de la carapace osseuse de son crâne et son grand bec se sépara en deux avant de disparaître. Son torse massif rétrécit, ainsi que le reste de son corps, dans un craquement qui fit frissonner le svirfnebelin.

La mort avait fait disparaître le porte-crocs ; Caqueteur avait retrouvé son apparence initiale. Il était un peu plus grand que le gnome, quoique moins large. Son visage était étrange, avec ses yeux sans pupilles et son nez aplati.

— Quel était ton vrai nom ? murmura Belwar.

Il n’aurait jamais la réponse. Il se pencha et prit la tête de son ami entre ses bras, trouvant un peu de réconfort dans la contemplation du visage enfin apaisé du pech.

 

 

— Qui es-tu pour oser prendre l’apparence de mon père ? demanda Drizzt alors que l’esprit-fantôme se rapprochait.

Le grognement de Zaknafein était incompréhensible mais le mouvement de son épée était assez explicite.

Drizzt para l’attaque et fit un saut en arrière.

— Qui es-tu ? demanda-t-il de nouveau. Tu n’es pas mon père !

Un grand sourire se dessina sur le visage de son adversaire.

— Non, répondit Zaknafein d’une voix vibrante. (Ses mots lui étaient dictés depuis une antichambre qui se trouvait à des kilomètres de là.) Je suis… ta mère !

Il fit tournoyer ses épées et chargea. Bien que désorienté par ce qu’il venait d’entendre, Drizzt répondit à l’attaque avec la même férocité. On n’entendit plus dans la grotte que le bruit des lames qui s’entrechoquaient.

 

 

Briza observait chaque geste de sa mère. De la sueur perlait sur son front et ses poings fermés frappaient si fort sur les accoudoirs de son trône de pierre qu’ils se mirent à saigner. Malice avait espéré que les choses se dérouleraient ainsi, et que, malgré la distance, elle pourrait savourer pleinement chaque instant de son triomphe ultime. Elle entendait les paroles de Drizzt et percevait même sa détresse. Elle n’avait jamais éprouvé un tel plaisir !

Elle sentit soudain un léger tiraillement alors que la conscience de Zaknafein tentait de résister à son emprise. Malice la fit taire d’un grognement rauque ; le corps de Zaknafein ne devait obéir qu’à elle !

Briza nota le grondement de sa mère non sans intérêt.

 

 

Drizzt était sûr que ce n’était pas Zaknafein Do’Urden qui se trouvait devant lui, mais il reconnaissait néanmoins les techniques de combat propres à son mentor. Son père était enfoui là, quelque part, et il devait trouver un moyen de l’atteindre s’il voulait avoir une chance d’obtenir les réponses à ses questions.

Le combat se régla rapidement sur un rythme régulier, chaque adversaire lançant de prudentes estocades sans jamais perdre de vue l’étroitesse de la passerelle sous leurs pieds.

C’est alors que Belwar sortit du tunnel, le cadavre de Caqueteur dans ses bras.

— Tue-le ! Drizzt ! Magga cam…

Il s’interrompit, saisi par l’affrontement dont il était témoin. Drizzt et Zaknafein semblaient se confondre, enchaînant attaques et parades, dans un ballet ininterrompu. Ces deux elfes noirs, jusque-là si différents aux yeux du gnome, semblaient ne faire plus qu’un, et cela le perturbait.

Profitant d’un temps mort, Drizzt jeta un regard en direction de son ami et aperçut le cadavre du pech.

— Maudit sois-tu ! cracha-t-il en se ruant sur son adversaire, ses cimeterres en avant.

L’esprit-fantôme détourna sans difficulté cet assaut téméraire et obligea Drizzt à maintenir une garde haute tout en le faisant reculer. Cette tactique était connue du jeune drow car Zaknafein l’avait utilisée à de nombreuses reprises lors de leurs séances d’entraînement. Le maître d’armes l’obligeait à maintenir une garde haute puis, en un éclair, se baissait et l’attaquait par le bas avec ses deux lames. Au début, cette botte réussissait chaque fois, mais lors de leur dernière session à Menzoberranzan, Drizzt avait trouvé une parade et retourné cette attaque à son avantage.

Le jeune elfe se demandait à présent si son adversaire allait exécuter les mêmes mouvements et s’interrogeait sur la manière dont il réagirait à sa riposte. Restait-il encore un peu de Zak dans le monstre qu’il combattait ?

L’esprit-fantôme suivait pour l’instant la même tactique. Puis il fit un petit pas en arrière et pointa ses deux lames vers le bas.

Drizzt abaissa ses cimeterres en « X », la parade inversée appropriée, et bloqua les épées de son assaillant en position basse. Il fit passer sa jambe entre les gardes de ses cimeterres et visa le visage de son adversaire avec son pied.

L’esprit-fantôme avait prévu le coup et esquiva la botte. Drizzt avait sa réponse à présent ; seul Zaknafein Do’Urden aurait pu anticiper une telle attaque.

— Tu es bien Zaknafein ! s’écria Drizzt. Qu’est-ce que Malice a fait de toi ?

Les mains de l’esprit-fantôme se mirent à trembler et ses lèvres remuèrent comme s’il essayait de dire quelque chose.

 

 

— Non ! hurla Malice.

Elle reprit brutalement le contrôle de sa créature, sentant affleurer dans l’esprit de celle-ci la conscience de l’être que Zaknafein avait été autrefois.

— Tu es à moi ! tonna-t-elle. Et, par la volonté de Lolth, tu accompliras ta mission !

Drizzt vit que la créature meurtrière retrouvait son calme. Ses mains ne tremblaient plus et sa bouche se figea en un rictus cruel.

— Que se passe-t-il, elfe noir ? demanda Belwar, toujours aussi dérouté par ce qu’il voyait.

L’elfe s’aperçut que son compagnon avait posé le corps de Caqueteur sur le sol et qu’il s’approchait dangereusement, des étincelles jaillissant de ses mains de mithral.

— Reste où tu es ! lui ordonna le jeune drow.

La présence d’un tiers pourrait ruiner le plan qu’il était en train d’échafauder.

— C’est bien Zaknafein ! Du moins en partie, essaya-t-il d’expliquer. (Puis d’une voix trop basse pour que le maître-terrassier puisse l’entendre, il ajouta :) Et je crois savoir comment l’atteindre.

Il lança sur son adversaire une série d’attaques qu’il savait Zaknafein capable d’esquiver facilement. Il ne cherchait pas à le toucher mais à lui rappeler la routine de leurs duels passés.

Il essayait de lui remémorer leurs nombreuses séances d’entraînement en continuant à parler tout en attaquant, comme ils avaient l’habitude de le faire à Menzoberranzan. L’esprit-fantôme répondait à la cordialité de Drizzt par de la férocité, et à ses paroles amicales par des grognements sauvages. Si Drizzt pensait pouvoir amadouer son adversaire, il se fourvoyait totalement.

Les épées de l’esprit-fantôme tournoyaient dans tous les sens afin de trouver une faille dans la défense du jeune drow, mais les cimeterres, tout aussi rapides et efficaces, parvenaient à bloquer ou à dévier toutes les attaques.

Une des épées finit toutefois par toucher Drizzt aux côtes. La fine cotte de mailles qu’il portait arrêta la pointe de la lame mais l’impact du coup lui laisserait un bel hématome. Repoussé en arrière, le jeune drow comprit que la tâche allait être ardue.

— Tu es mon père ! C’est la Matrone Malice ton ennemie, pas moi !

Il entendit un rire dément en retour, et l’esprit-fantôme se rua de nouveau sur lui. Depuis le début, Drizzt avait redouté ce moment ; il se répétait inlassablement que ce n’était pas vraiment son père qui se trouvait devant lui.

L’attaque imprudente de Zaknafein laissait voir des failles dans sa défense, et Drizzt les exploita. Une de ses lames transperça le ventre de l’esprit-fantôme et l’autre lui entailla profondément le cou.

Le monstre éclata de rire de nouveau et continua à assaillir son adversaire.

Drizzt sentit la panique le gagner. Il était aussi fort que Zaknafein, mais ses lames ne semblaient rien pouvoir contre lui ! À cela s’ajoutait un autre problème : Drizzt ne savait pas exactement à quoi il était confronté, mais il se doutait bien que cette créature ne se fatiguerait pas avec le temps.

Le jeune drow fit appel à tout son talent et à toute la rapidité dont il était capable. Le désespoir lui fit atteindre des hauteurs inégalées dans l’art de l’escrime. Belwar voulut le rejoindre, mais il s’arrêta, subjugué par le spectacle.

Drizzt toucha encore son mentor plusieurs fois, mais ses coups restaient sans effet sur lui. Il avait beau augmenter la cadence du combat, l’esprit-fantôme arrivait toujours à l’égaler. Il avait peine à croire que ce n’était pas Zaknafein Do’Urden qui se battait contre lui ; aucun autre être ne pouvait se mouvoir avec autant de précision et de grâce.

Drizzt prit de la distance pour pouvoir profiter de la première ouverture qui se présenterait. Il se répétait sans cesse que la créature qu’il avait devant lui n’était qu’un monstre créé par Matrone Malice dans la seule intention de le détruire. Il savait maintenant que le seul moyen de s’en sortir était de faire tomber son adversaire du passage étroit sur lequel ils se trouvaient. Mais devant un combattant aussi brillant, ses chances de succès étaient bien minces.

Alors qu’il reculait, un bloc de pierre céda sous son pied. Drizzt trébucha et se retrouva une jambe dans le vide jusqu’au genou. Zaknafein fondit sur lui. D’un mouvement d’épée, il plaqua le jeune drow dos au sol, la tête de celui-ci pendant dangereusement au-dessus du lac d’acide.

— Drizzt ! Drizzt ! hurla Belwar qui se précipita vers son ami même s’il n’avait aucun espoir d’arriver à temps pour le sauver.

Peut-être que le fait d’entendre ce nom ou, tout simplement, d’être enfin parvenu au moment tant attendu de la mise à mort réveilla un instant la conscience de Zaknafein, et retint son bras.

Drizzt ne chercha pas à comprendre ; il frappa avec les poignées de ses cimeterres le visage de son adversaire, qui recula. Le jeune drow se remit debout, haletant ; il semblait s’être foulé la cheville.

— Zaknafein ! hurla-t-il, désorienté par ce qui venait de se passer.

— Driz…, tenta d’articuler la bouche de l’esprit-fantôme.

Mais la créature de Malice reprit le contrôle et lança une nouvelle attaque.

Drizzt la contra et recula de nouveau. Il pouvait sentir la présence de son père dans cette créature, mais comment libérer son esprit ? D’une manière ou d’une autre, ce combat devait se terminer.

— C’est toi, murmura-t-il. Personne d’autre que toi ne peut se battre ainsi. Zaknafein est là, quelque part, et le Zaknafein que je connais est incapable de me tuer.

Une pensée folle lui traversa l’esprit, mais il devait y croire.

Une fois encore, il devait mettre à l’épreuve ses convictions.

Il glissa ses cimeterres dans leur fourreau.

L’esprit-fantôme grogna ; ses épées fendaient l’air dans des arabesques menaçantes, mais Zaknafein n’avançait pas.

 

 

— Tue-le ! se réjouit Malice, sentant sa victoire proche.

Les images du combat se dérobèrent soudain à sa vue, la laissant dans l’obscurité. Elle avait laissé trop de champ à l’esprit de Zaknafein afin que sa créature puisse suivre le rythme du combat ; elle avait besoin de tout le savoir-faire guerrier de l’ancien maître d’armes pour vaincre son fils.

Maintenant, elle était seule face à son funeste destin. Elle jeta un regard à sa fille trop curieuse et replongea dans sa transe pour tenter de reprendre le contrôle.

 

 

— Drizzt, dit Zaknafein en semblant savourer ce nom.

Il remit ses épées dans leur fourreau, même s’il devait continuer à se battre contre la volonté de Matrone Malice à chaque instant.

Le jeune drow s’avança vers lui ; il voulait juste serrer dans ses bras son père et meilleur ami, mais Zaknafein fit un signe de la main pour l’arrêter.

— Non, je ne sais pas combien de temps je pourrai résister. Ce corps lui appartient, je le crains.

— Alors tu es… ?

— Je suis mort, dit Zaknafein abruptement. Je suis en paix, sois rassuré. Malice a ranimé mon corps pour servir ses infâmes projets.

— Mais tu l’as vaincue, remarqua Drizzt, plein d’espoir. Nous sommes de nouveau ensemble.

— C’est juste un répit, rien de plus.

Comme pour souligner ses paroles, sa main vint se placer sur la garde d’une de ses épées. Il grimaça, grogna et en reprit le contrôle par un immense effort de volonté.

— Elle revient, mon fils. Elle revient toujours !

— Je ne supporterai pas de te perdre de nouveau. Quand je t’ai vu dans la caverne des illithids…

— Ce n’était pas moi que tu as vu, c’était la créature de Malice. Je suis parti, mon fils. Depuis de nombreuses années.

— Tu es là, devant moi ! tenta de se convaincre Drizzt.

— Par la seule volonté de Malice, pas… la mienne.

Zaknafein gronda, son visage se convulsa, trahissant la lutte interne qu’il menait pour repousser l’emprise de Malice encore quelques instants. Se contrôlant de nouveau, il prit le temps de regarder le guerrier que son fils était devenu.

— Tu te bats bien. Mieux que je l’aurais imaginé. C’est une bonne chose. Comme il est heureux que tu aies eu le courage de t’enfuir de…

Son visage se contracta de nouveau, et il ne put terminer sa phrase. Cette fois-ci, ses deux mains se saisirent de ses épées et en un éclair les lames quittèrent leur fourreau.

— Non ! Bats-toi contre elle ! implora Drizzt, ses yeux lavande embués de larmes.

— Je n’y… arrive plus. Fuis cet endroit, Drizzt. Fuis jusqu’aux… confins du monde ! Malice ne te pardonnera jamais. Elle… n’arrêtera pas de…

L’esprit-fantôme bondit et Drizzt fut obligé de tirer ses cimeterres. Mais Zaknafein reprit le contrôle l’espace d’un instant.

— Pour nous ! hurla-t-il en sautant dans le vide.

Ce cri était celui de la victoire, il résonna dans la grotte baignée d’une lumière verdâtre et jusque dans le cœur de Matrone Malice, sonnant le glas de son avenir.

Terre d'Exil
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